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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/230

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Il ne dit rien, ne laissa pas échapper le moindre son. Il ne pouvait mentir dans ce moment, quand même il eût été certain qu’elle le croirait et que ce mensonge le sauverait ; il ne pouvait même pas soutenir son regard. Du reste, Tatiana n’avait plus besoin d’une réponse, elle la saisit dans son silence, dans ses yeux coupables et abattus ; elle se rejeta en arrière et laissa tomber le livre. Jusqu’à cet instant, elle avait douté, et Litvinof le comprit ; et il vit combien était réellement hideux tout ce qu’il avait fait ! Il se précipita à ses genoux.

— Tatiana ! s’écria-t-il, si tu savais comme il m’est pénible de te voir dans cette situation, combien je souffre de penser que c’est moi… moi ! Mon cœur est brisé ; je ne me reconnais pas moi-même ; en te perdant, je me suis perdu, et tout… tout est détruit, Tatiana, tout ! Pouvais-je prévoir que je te porterais un tel coup, à toi, ma meilleure amie, mon ange tutélaire !… Pouvais-je prévoir que nous nous retrouverions ainsi, que nous passerions une journée comme celle d’hier !…

Tatiana voulut se retirer ; il la retint par le pan de sa robe.

— Non ! écoute-moi encore une minute. Tu vois, je suis à tes genoux, mais je ne suis pas venu implorer mon pardon ; tu ne peux pas, tu ne dois pas me l’accorder ; je suis venu te dire que ton ami est perdu, qu’il roule dans un abîme et ne veut pas t’entraîner avec lui. Me sauver… non ! Toi-même