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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/48

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— Je ne lis plus de romans, répondit sèchement madame Soukhantchikof.

— Pourquoi ?

— Parce que le temps n’est plus aux romans ; je n’ai à présent qu’une seule chose en tête : les machines à coudre.

— Quelles machines ? demanda Litvinof.

— À coudre, à coudre… Il faut que toutes les femmes se fournissent de machines à coudre et constituent une association ; de cette façon elles gagneront toutes leur pain et parviendront à être indépendantes. Autrement elles ne pourront jamais s’émanciper. C’est une grave, très grave question sociale. Nous nous sommes disputés à ce sujet avec Boleslas Stadnitzki. C’est une admirable nature que ce Stadnitzki, mais il considère beaucoup trop légèrement ces choses. Au fond, c’est un imbécile.

— Il viendra un temps où tous auront à rendre compte de leur conduite, dit lentement Goubaref, d’un ton moitié magistral et moitié prophétique.

— Oui, oui, répéta Bambaéf, on rendra compte. Eh bien ? Étienne Nikolaévitch, ajouta-t-il en baissant la voix, l’ouvrage avance-t-il ?

— Je rassemble les matériaux, répondit Goubaref en fronçant le sourcil, et se tournant vers Litvinof qui commençait à avoir des nausées de cette omelette de noms inconnus, de cette rage de cancans, il lui demanda : De quoi vous occupez-vous ?