Aller au contenu

Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/81

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

moment, qu’il pouvait le terminer à Berlin… ou quelque part ailleurs. Irène ne se gênait pas dans l’expression de ses sentiments, de sorte que son inclination pour Litvinof ne demeura pas longtemps un mystère pour le prince et la princesse. Ils ne s’en réjouirent pas, mais, vu les circonstances, ils ne jugèrent pas nécessaire d’opposer immédiatement leur veto. Litvinof avait de la fortune. « Mais la famille, la famille ! » remarquait la princesse. — Certainement la famille, répondait le prince, mais ce n’est pourtant pas un roturier, et d’ailleurs Irène ne nous écoutera pas. Est-il jamais arrivé qu’elle n’ait pas fait ce qu’elle a voulu ? Vous connaissez sa violence ! D’ailleurs, il n’y a rien encore de résolu. » Ainsi raisonnait le prince, mais mentalement il ajoutait : « Madame Litvinof tout court ! je m’attendais à mieux que cela. » Irène s’était complètement emparée de l’esprit de son fiancé ; celui-ci, il faut l’avouer, n’y avait mis aucune opposition : un torrent l’entraînait, il n’avait plus le sentiment de ce qu’il faisait, il ne regrettait et n’épargnait rien. Quels sont les devoirs du mariage ? lui serait-il possible d’être bon mari étant entièrement soumis à Irène ? Quels éléments de bonheur lui offrait-elle ? Il lui était impossible de réfléchir là-dessus un moment ; son sang bouillonnait, il ne savait qu’une chose : aller près d’elle, avec elle, en avant, toujours, et puis advienne que pourra ! Cependant, malgré la docilité de Litvinof et la tendresse exaltée d’Irène, des malentendus et des