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Page:Tristan - Union ouvrière, 1844 (2e édition).pdf/158

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et ne marchent pas. Dans ce camp, les sourds n’entendent pas cette grande voix humanitaire qui crie sur tous les tons : que les temps sont venus où il ne doit plus y avoir de réprouvés sur la terre, où chaque individu, dès son entrée dans la vie, doit avoir, comme membre de la grande famille humaine, sa place au banquet social. Dans ce camp, les aveugles ne voient pas le grand mouvement qui s’opère de bas en haut. — Dans ce camp, les culs-de-jatte se momifient dans leur immobilité absolue, laissant aller les autres en avant, sans s’apercevoir qu’ils restent en arrière. Tous ces pauvres infirmes sont comme des traînards qu’un corps d’armée abandonne, parce qu’ils gênent et entravent la marche.

De l’autre côté se trouvent les bourgeois intelligents. Je nommerai ceux-ci les voyants. Dans le camp des voyants, on entend avec émotion, avec amour, vibrer la grande voix humanitaire qui crie : — Frères, place pour nous ! Dans le camp des voyants, on aperçoit distinctement le grand mouvement ascensionnel des classes inférieures qui s’élèvent graduellement, d’échelon en échelon, au bien-être et à la liberté. On suit cette marche avec intérêt et sollicitude. — Chez les voyants, on est en marche incessante, on marche par la pensée, on marche par le travail, on marche par les élans d’une sympathie généreuse.

Ce sont ces bourgeois voyants qui forment aujourd’hui la partie rationnelle, sage et forte de la nation. Si malheureusement il arrive, comme on doit le redouter, que les aveugles, à force de faire des bévues, compromettent les intérêts de la nation, le pays trouvera dans le camp des voyants des hommes intelligents, bons, fermes et capables de sauver encore une fois la France.

Ce n’est donc pas aux voyants que je m’adresse ici ; ce serait leur faire injure. D’ailleurs, j’appartiens moi-même à ce camp. — Notre devise est celle-ci : l’ordre, le respect à toute espèce de propriété ; justice pour tous ; richesse et prospérité générale du pays. Cela dit, je prie les bourgeois sourds, avant de dénaturer et calomnier mes intentions, de vouloir bien réflé-