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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/294

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penser à donner un règlement sur la police des grains. Prenez du temps, monsieur, et prenez-en beaucoup ; j’ose vous en conjurer pour le salut des malheureux de cette province et de celles qui ont été comme elle frappées de stérilité.

Je vous parle avec bien de la franchise, monsieur, peut-être avec trop de force ; mais vous ne pouvez pas vous méprendre au motif, et si dans la rapidité avec laquelle je suis obligé d’écrire, il m’échappait, contre mon intention, quelque expression trop vive, vous sauriez l’excuser. Je mets trop d’intérêt à vous convaincre, pour avoir envie de vous déplaire, et vous avez vous-même trop d’intérêt à connaître et par conséquent à entendre la vérité, pour qu’elle puisse vous blesser. Bien loin de le craindre, je ne crois pas pouvoir mieux vous prouver ma reconnaissance de l’estime que vous avez bien voulu me témoigner qu’en employant toutes mes forces à vous dissuader d’un règlement dont je crois que l’effet serait très-funeste et directement contraire à vos intentions.

Ce n’est pas que j’aie la présomption de me croire fait pour vous donner des lumières nouvelles ni de regarder mon opinion comme pouvant être dans aucun cas une autorité ; mais la force de ma conviction me fait compter sur la force de mes raisons. Je suis bien sûr de ne m’être décidé qu’après un mûr examen. Il y a près de dix-huit ans que l’étude de ces matières a fait ma principale occupation, et que j’ai tâché de me rendre propres les lumières et les réflexions des personnes les plus instruites. Tout ce que j’ai vu depuis m’a confirmé dans ma façon de penser, et surtout l’affreuse disette que j’ai eu le malheur de voir de très-près l’année dernière. Ayant cet objet continuellement sous mes yeux, j’avais certainement le plus grand intérêt à l’envisager sous toutes ses faces, et j’étais à portée de comparer à chaque instant les principes avec les faits. Peut-être que cette expérience peut donner du moins quelque poids à mon témoignage.

Manquant de loisir pour remplir le plan que je m’étais proposé, et forcé d’en remettre l’exécution à un autre temps, je me bornerai à jeter au courant de la plume les idées qui se présenteront à moi sur la matière, et à traiter pour ainsi dire chaque principe, chaque réflexion fondamentale, la discussion de chaque objection principale comme autant de morceaux détachés, en renonçant à l’ordre et à la précision que je voudrais y mettre, mais qui exigeraient trop de