Aller au contenu

Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/66

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais cette vérité, que ne niaient pas les physiocrates, empêchet-elle que la substance même de l’utile, de la richesse, ne soit le produit exclusif du travail agricole ? Et, s’il en est ainsi, comment ne pas reconnaître que l’importance économique de ce travail est supérieure à celle des manufactures et du commerce, qui n’en sont que le complément ? Si l’on porte ses regards sur tout le globe, abstraction faite de son état de morcellement entre les peuples divers[1], il est évident que la richesse ne saurait s’y accroître que proportionnellement au développement de l’agriculture. Comment la quantité des produits industriels augmenterait-elle, si la somme des produits bruts restait stationnaire ? Que si l’on ne considère que telle ou telle nation en particulier, il est certain encore que les bénéfices qu’elle peut retirer de la vente de ses services manufacturiers ou commerciaux aux autres peuples, ne sauraient entrer en parallèle avec les avantages inhérents à l’exploitation du sol, surtout si elle possède un territoire fertile. Une nation n’est, en effet, qu’une personne collective qui a le choix de commercer de son travail, soit avec la nature même, soit avec les autres hommes. Dans le premier cas, son travail est une valeur qui n’est jamais payée au rabais, et qui est pourvue d’un débouché certain ; tandis que, dans le second, c’est tout le contraire qui a lieu, et qu’il peut arriver même que, faute d’emploi, ce travail, ou plutôt cette faculté de travail, cesse d’être une valeur. D’ailleurs, la population tendant en tout pays à déborder la masse de produits bruts nécessaires à son existence, et les produits bruts étant, en dernière analyse, la seule chose qui s’échange contre du travail humain, il y a nécessité physique que tout grand peuple, toute nation véritable, tire de son sol, par l’échange direct ou indirect de ses produits territoriaux contre ceux des autres peuples, la presque totalité des matières premières qui entre-

  1. « Quiconque, écrivait Turgot en 1770, n’oublie pas qu’il y a des États politiques séparés les uns des autres et constitués diversement, ne traitera jamais bien aucune question d’économie politique. » (Voyez Correspondance, lettre VIII, tome II, page 800.)