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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/140

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MÉMOIRE SUR LES MINES ET CARRIÈRES.


Aspect et division de ce Mémoire. — Deux points de vue doivent diriger l’administration dans l’établissement des lois qui règlent l’exploitation des carrières et des mines, savoir : par rapport à l’intérêt des particuliers, la considération du droit naturel ; et par rapport à l’intérêt de l’État, le désir de procurer l’exploitation la plus abondante et la plus fructueuse de cette espèce de richesses.

Chapitre I. — De la jurisprudence des mines considérée relativement aux principes
du droit naturel.

§ Ier. Droit du propriétaire du sol de creuser sur son terrain. — Il est difficile de contester au propriétaire d’un champ le droit d’y fouiller[1].

Avant l’établissement des propriétés foncières, il n’était pas moins libre au premier occupant de creuser la terre que d’en labourer une portion, et de l’enclore pour s’en assurer la possession exclusive. Or, pourquoi un homme qui, en faisant fermer son champ, en est devenu propriétaire, n’aurait-il pas sur cette terre une faculté qu’il partageait auparavant avec tout le monde ? N’eût-il d’autre titre pour pouvoir y creuser que celui de premier occupant, il

  1. Ce principe, méconnu dans l’ancien droit, a été consacré, avec plus d’extension même que ne lui en donnait Turgot, comme le montrera la suite de ce Mémoire, par l’article 552 du Code civil, qui porte :

    « La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous.

    Le propriétaire peut faire au-dessus toutes les plantations et constructions qu’il juge à propos, sauf les exceptions établies au titre IV ci-après, Des Servitudes.

    Il peut faire au-dessous toutes les constructions et fouilles qu’il jugera à propos, et tirer de ces fouilles tous les produits qu’elles peuvent fournir, sauf les modifications résultant des lois et règlements relatifs aux mines, et des lois et règlements de police. »

    Le titre II, De la Propriété, liv. II, du Code, dont cet article fait partie, fut décrété le 27 janvier 1804. À cette époque, les mines étaient régies par la loi du 28 juillet 1791, qui n’avait dérogé que très-faiblement à la législation antérieure, empruntée au droit romain, lequel les plaçait dans le domaine public. D’où cette remarque, que, sur la question des mines et de la propriété, Napoléon s’est rapproché beaucoup plus des idées de Turgot que de celles de tous les jurisconsultes. On le voit, d’abord par la rédaction de l’article 552 du Code, à laquelle il eut certainement une grande part, et qui dispose que la propriété du dessus emporte celle du dessous, ce qui était saper la loi de 1791 et nier le droit de l’État, avec Turgot, contre les jurisconsultes ; maison le verra mieux encore, par quelques détails que nous rapporterons, sur la discussion au sein du Conseil d’État de la loi du 21 avril 1810, qui a remplacé celle de 1791. (E. D.)