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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/142

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C’est ici qu’on peut commencer à douter, et demander si le propriétaire de la surface supérieure peut, en vertu de son droit de

    d’appui aussi frêle que ces raisonnements. C’est l’un des plus illustres d’entre eux, c’est Domat qui parle :

    « La nécessité des métaux, non-seulement pour les monnaies, pour l’usage des armes et pour celui de l’artillerie, mais pour une infinité d’autres besoins et commodités, dont plusieurs regardent l’intérêt public, rend ces matières, et celles des autres minéraux, si utiles et si nécessaires dans un État, qu’il est de l’ordre de la police que le souverain ait sur les mines de ces matières un droit indépendant de celui des propriétaires des lieux où elles se trouvent. Et d’ailleurs, on peut dire que leur droit dans son origine a été borné à l’usage de leurs héritages pour y semer, planter et bâtir, ou pour d’autres semblables usages ; et que les titres n’ont pas supposé un droit sur les mines qui étaient inconnues, et dont la nature destine l’usage au public par le besoin que peut avoir un État des métaux et autres matières singulières qu’on tire des mines. Ainsi, les lois ont réglé l’usage des mines, et laissant aux propriétaires des fonds ce qui a paru juste, elles y ont aussi réglé un droit pour le souverain*. »

    S’il ne suffisait que de considérer l’utilité des choses, peut-on répondre à Domat, pour savoir si elles doivent, ou non, tomber dans le domaine public, votre argumentation serait tout aussi concluante pour investir l’État de la propriété de la surface du sol que pour lui conférer celle du tréfonds. Il ne serait pas difficile à coup sûr de prouver que les richesses produites par la terre cultivable regardent l’intérêt public autant que les richesses souterraines, et que le blé n’est pas moins utile que le fer, l’or, l’argent et tous les autres métaux. Votre doctrine conduit tout droit à l’anéantissement de la propriété individuelle, dont vous avez, cependant, établi la nécessité ailleurs, et vous êtes tombé ici, à voire insu, dans le péché du socialisme moderne.

    Cette aberration d’un esprit aussi éminent que Domat, témoigne de toute l’importance des études économiques. Si le phénomène de la production et de la distribution de la richesse n’eût pas été lettre close pour cet habile jurisconsulte, il aurait pu conserver son opinion sur le droit de l’État à la propriété des mines, mais il l’aurait soutenue certainement par des considérations autres que les précédentes. Il aurait reconnu, par exemple, que, puisqu’il fondait le droit du souverain sur l’utilité publique, son argument ne pouvait avoir de valeur qu’autant qu’il aurait démontré, d’abord, que l’exploitation des matières souterraines était moins fructueuse entre les mains des particuliers qu’entre celles de l’État. Et, alors, au lieu de nous dire que les lois avaient réglé l’usage des mines, conformément au droit romain, ce qui n’était qu’énoncer un fait, il aurait établi, bien ou mal, la raison de ce droit. Mais, l’économie politique étant encore à naître, Domat ne pouvait traiter la question de ce point de vue qu’autant qu’il aurait lui-même deviné la science, et ce genre de mérite, on ne peut le nier, ne lui appartient pas. Loin de là, au contraire, et comme tous les autres jurisconsultes, y compris Pothier, qui ont écrit les choses les plus étranges sur la question de la monnaie, celle de l’intérêt de l’argent, celle de la propriété, etc., il a contribué à faire prévaloir des idées fausses et désastreuses sur toutes les matières qui ont pour domaine commun le droit et l’économie politique.

    Puisque nous avons cité le jurisconsulte Pothier, nous devons terminer ces observations par cette remarque, qu’on ne rencontre pas un seul mot ayant trait aux mines, dans son Traité du droit de domaine de propriété, écrit en 1771. (E. D).

    * Droit public, tome II, page 12, de l’édition in-folio de 1723.