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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/143

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propriété, s’opposer au travail de ces galeries poussées sous son terrain. Je ne le pense pas ; et à cet égard je suis de l’avis du plus grand nombre des jurisconsultes.

Ils en ont cependant, selon moi, donné une assez mauvaise preuve : ils ont dit que le propriétaire de la surface, en s’appropriant la terre par son travail, n’avait eu pour objet que de s’assurer la jouissance des fruits, et la faculté d’y semer, d’y bâtir ; qu’il n’avait point dirigé son intention (affectum possidendi) sur la possession des matières souterraines[1]. Cette raison n’est pas entièrement satisfaisante ; car s’il ne s’agissait que de diriger son intention, il n’y aurait point d’homme qui ne désirât tout ce qu’il peut avoir, et ce n’est certainement pas par leurs propres désirs que les propriétés des hommes ont reçu quelques limitations. Il faut aller plus loin, et dire que, quand même le propriétaire aurait eu l’intention de posséder toutes les matières souterraines, cette intention ne lui aurait donné aucune propriété. Qu’est-ce en effet que la propriété ? (Je ne prends pas ce mot dans le sens strict que lui donnent les jurisconsultes, lorsqu’ils l’opposent à l’usufruit et à différentes manières de posséder, qui toutes ne sont que des dérivations, ou si l’on veut des partages du droit de propriété, pris dans son sens primitif ; je parle de ce droit par lequel un objet propre aux jouissances de tous les hommes, n’appartient qu’à un seul.) La propriété, dans ce sens, est le droit d’user de la chose, et d’empêcher les autres d’en user. Le sauvage qui cueille le fruit d’un arbre acquiert la possession de ce fruit, et n’a aucun droit sur l’arbre qui ne soit commun à tout autre qui, comme lui, pourra en prendre aussi des fruits. Mais, s’il enferme le terrain où cet arbre est planté, il acquiert exclusivement à tout autre un droit aux fruits que cet arbre et ce terrain produisent. Il possède ce terrain par voie d’occupation : sa propriété est garantie par la force qu’il peut opposer aux entreprises de ceux qui voudraient partager avec lui les fruits de ce terrain.

Dans l’établissement des sociétés, la convention générale et les lois ont ajouté à la force de chaque particulier celle de la société entière, dont tous les membres se sont réciproquement garanti la possession des héritages que chacun s’était appropriés par voie d’occupation et par son travail personnel. À la place des forces particulières, qui sont devenues inutiles, la force publique a été établie.

  1. Voyez la note précédente.