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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/385

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est bien plus aisé au gouvernement de dire aux communautés :« il me faut tant d’argent ; arrangez-vous comme vous voudrez ou comme vous pourrez, pourvu que j’aie l’argent que je vous demande », qu’il ne l’est à des communautés composées de paysans pauvres, ignorants et brutaux, comme elles le sont dans la plus grande partie du royaume, de s’arranger effectivement, de répartir un fardeau très-lourd avec une justice exacte, et en discutant une foule d’exemptions établies par des règlements sans nombre dont la connaissance détaillée exigerait toute l’étude d’un homme, et dont l’ignorance expose un malheureux paysan à surcharger ses concitoyens et lui-même, s’il a égard à des exemptions mal fondées, ou à soutenir, ainsi que sa communauté, des procès ruineux, s’il refuse d’avoir égard à des exemptions légitimes.

Dans l’origine, la paroisse choisissait un certain nombre de prud’hommes auxquels on donnait le nom d’asséeurs, qui faisaient serment d’asseoir ou de répartir l’imposition suivant leur âme et conscience sur tous les taillables de la communauté. L’on nommait aussi, à la pluralité des voix, un ou plusieurs particuliers solvables qui étaient chargés de faire, d’après le rôle arrêté par les asséeurs, la collecte des deniers, et de les verser dans la caisse des receveurs du roi. On imposait, en sus de la somme demandée par le roi, une taxation de 6 deniers pour livre au profit de ces collecteurs qui, moyennant cette espèce de salaire, étaient garants de leurs recettes.

L’on ne tarda pas à s’apercevoir qu’en confiant la fonction de répartir les tailles aux plus intelligents de la paroisse, qui étaient ordinairement les plus riches, ceux-ci étaient très-portés à abuser de cette confiance forcée pour se ménager les uns les autres et se taxer fort au-dessous de leurs facultés ; en sorte que le fardeau retombait en grande partie sur les plus pauvres habitants. Il arrivait de là que les contribuables étaient souvent hors d’état de payer les sommes auxquelles ils étaient imposés sur les rôles, et que les collecteurs, obligés de répondre de la totalité de la somme imposée, étaient souvent ruinés.

Pour remédier à cet inconvénient, l’on imagina de charger les collecteurs eux-mêmes de la répartition de la taille, en sorte qu’ils sont en même temps asséeurs et collecteurs. Il devait résulter de là, et il en est résulté, en effet, que le collecteur étant obligé de répondre de la totalité de l’imposition, et même souvent d’en faire l’a-