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Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 1.djvu/134

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— 1800 - 1807 —

seront jamais nos alliés de bonne foi, ces peuples dont la défaite a fondé notre gloire et dont nos succès ont fait le malheur. Déjà humiliés comme vaincus, comme tributaires, ils ont vu leurs souverains recevoir dans leur propre capitale les ordres d’un souverain plus grand ; ils les voient aujourd’hui appelés dans la sienne comme pour orner son char. Les humiliations qui pèsent sur des nations entières portent tôt ou tard des moissons de vengeance. Je n’en redoute rien encore sans doute pour la France ; mais, si j’aime la guerre, c’est pour quelle donne la paix, et je ne vois plus de paix durable pour le monde. » — « C’est ainsi, ajoute le même ministre, que s’exprimait avec moi le meilleur des serviteurs de Napoléon, à une époque où, même avec quelques nuances dans les opinions, il n’y avait plus en France et dans ses nouvelles dépendances qu’un sentiment : soumission unanime. Et ce qui honore le plus le prince Eugène, c’est qu’il avait eu le courage de tenir un langage à peu près pareil à Napoléon lui-même[1]. »

Le chef des Bourbons ne voyait pas d’aussi loin. On raconte que, pendant les années qui précédèrent la désastreuse retraite de Russie, Louis XVIII disait parfois à son entourage : Le temps viendra. Quelques écrivains ont signalé dans ce mot la conjecture d’un esprit sagace qui prévoit les événements. Ce prince n’avait pas la vue aussi perçante. Son langage était le langage de tous les Prétendants, de ceux qui ont des raisons sérieuses d’espérer, comme de ceux qui se sont éteints, eux et leur race, dans un éternel exil. C’était un de ces élans involontaires que font tous les abandonnés vers un avenir meilleur, vers ce lendemain ignoré auquel tous aspirent. L’impression qu’il ressentit de la naissance du fils de Napoléon, de cet Enfant-Roi que toute l’Europe salua comme le futur continuateur de l’Empire, indique quelle était, à cette époque, la situation

  1. Mémoires d’un ministre du Trésor, t. III.