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Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 1.djvu/226

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— 1814 —

mais que j’abandonne aussi celles qui ont été faites avant moi, que je viole le dépôt qui m’a été remis avec tant de confiance ; que, pour prix de tant d’efforts, de sang et de victoires, je laisse la France plus petite que je ne l’ai trouvée : jamais ! Le pourrais-je sans trahison ou sans lâcheté ?... Vous êtes effrayés de la continuation de la guerre ; moi je le suis de dangers plus certains que vous ne voyez pas. Si nous renonçons à la limite du Rhin, ce n’est pas seulement la France qui recule, c’est l’Autriche et la Prusse qui s’avancent !... La France a besoin de la paix ; mais celle qu’on veut lui imposer entraînera plus de malheurs que la guerre la plus acharnée ! Songez-y. Que serais-je pour les Français, quand j’aurai signé leur humiliation ? Que pourrais-je répondre aux républicains du Sénat, quand ils viendront me demander leurs barrières du Rhin ? Dieu me préserve de tels affronts !... Répondez à Caulaincourt, si vous le voulez ; mais dites-lui que je rejette ce traité. Je préfère courir les chances les plus rigoureuses de la guerre[1] ! »

L’Empereur se jette alors sur un lit de camp, et le duc de Bassano passe une partie de la nuit à son chevet, cherchant à ramener le calme dans cet esprit agité et à lui inspirer une résignation nécessaire. Ses efforts ne furent pas sans succès : il obtint enfin l’autorisation de répondre au duc de Vicence en termes qui lui permissent du moins de ne pas rompre sur-le-champ la négociation. Le duc sortit pour rédiger la dépêche ; quand elle fut écrite et remise au courrier qui l’attendait, il rentra dans le cabinet de l’Empereur et le trouva couché sur d’immenses cartes, un compas à la main ; il lui annonça que la dépêche était partie. « Ah ! vous voilà, lui dit Napoléon ; il s’agit maintenant de bien d’autres choses ! Je suis en ce moment à battre Blücher de l’œil ; il s’avance sur Paris par la route de Montmirail ; je pars ; je le battrai demain ; je le battrai après-demain ; si ce mouvement a le succès qu’il doit

  1. Manuscrit de 1814, du baron Fain.