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Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 1.djvu/286

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— 1814 —

casion le génie de ce personnage ; les partisans de l’Empire et les amis de l’Empereur ont accusé sa perfidie et sa trahison. L’éloge et le blâme sont également excessifs. M. de Talleyrand ne fit pas la situation ; il la vit venir, se mit en mesure de ne pas être emporté par elle, et se laissa ensuite aller au courant des événements. On a dit de sa politique que c’était « une manœuvre selon le vent[1]. » Le mot est juste. Lui-même, dans son testament, en parlant de sa conduite envers Napoléon, a dit « qu’il ne l’avait point trahi ; que, s’il l’avait abandonné, c’était qu’il avait reconnu qu’il ne pouvait plus confondre, comme il l’avait fait jusqu’alors, la France et l’Empereur dans la même affection ; que ce ne fut pas sans un vif sentiment de douleur, car il lui devait presque toute sa fortune ; qu’au reste il n’avait abandonné aucun gouvernement avant que ce gouvernement se fût abandonné lui-même. » Cet aveu, fait en face de la mort, ne justifie assurément pas le rôle du prince de Bénévent ; il l’explique. L’étude attentive des faits, en 1814, prouve, en effet, que M. de Talleyrand, à cette époque, fut moins coupable envers l’Empereur qu’envers la France : il a trahi la patrie plus que l’Empire, et sa trahison, comme on le verra, n’est nullement dans les faits où l’a placée longtemps le préjugé public.

Nous avons dit, à l’occasion de l’équipée royaliste de Troyes, que, vers le milieu de février, tous les hommes que leur opinion ou leurs intérêts rendaient les adversaires du gouvernement impérial se bornaient à échanger, à voix basse, des espérances encore très-confuses, et à quêter partout des nouvelles. Prince de Bénévent, vice-grand-électeur de l’Empire, vice-président du Sénat, membre du conseil de régence, M. de Talleyrand était un des hommes que Napoléon avait le plus comblés de biens et grandis ; on ne pouvait donc, à cette date, le ranger au nombre des ennemis de l’Empire et de la dynastie

  1. Madame de Staël.