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Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 1.djvu/287

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— 1814 —

impériale ; mais, ministre disgracié, les salons le classaient parmi les mécontents. Sa position, d’un autre côté, était tout exceptionnelle : son haut rang, ses dignités, sa grande existence, lui donnaient sans doute, sur les affaires publiques, des moyens personnels d’information qui l’obligeaient à une certaine réserve ; mais, placé en dehors du mouvement des affaires actives, il pouvait s’observer moins que les membres du gouvernement dans le choix de ses relations et tolérer plus facilement autour de lui une certaine liberté de langage. En outre, M. de Talleyrand, issu de race noble, et tour à tour évêque, membre de l’Assemblée constituante, émigré, ministre sous le Directoire, prince sous l’Empire, avait touché à toutes les époques, s’était mêlé aux hommes de toutes les opinions et de tous les régimes. Ses salons, un mois après le départ de l’Empereur pour l’armée, étaient donc devenus le rendez-vous naturel des principaux opposants de toutes les catégories ; on y voyait jusqu’à des abbés. On n’y conspirait pas, comme on l’a dit ; on y commentait assez bas les rares et courts bulletins publiés par le Moniteur ; on s’y inquiétait surtout des projets des Alliés. Quels étaient les plans, les vues des souverains ? Les travaux du congrès de Châtillon devaient-ils aboutir à un résultat pacifique ? Voilà les questions que chacun s’y adressait, et auxquelles personne ne pouvait répondre. « Le congrès de Châtillon était notre fléau, » a dit l’abbé de Pradt dans un Récit historique dont nous parlerons plus loin. M. de Talleyrand lui-même ne savait rien, n’entrevoyait rien. Cette incertitude le tourmentait. « Ah ! s’écriait-il souvent en parlant du congrès de Châtillon, si quelqu’un pouvait aller là ! » Tenter une démarche directe était aussi difficile que dangereux : qui envoyer ? à qui écrire ? L’ombrageuse police de l’Empire continuait à veiller ; les souverains, ainsi que Napoléon, d’ailleurs, étaient à la fois partout et nulle part : aujourd’hui sur un point, le lendemain à vingt lieues en deçà ou au delà. Aucune route n’était sûre. Des partis de toutes les armées ne ces-