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— 1814 —

Reims, le 16 mars.

« Mon frère, conformément aux instructions verbales que je vous ai données et à l’esprit de toutes mes lettres, vous ne devez permettre, en aucun cas, que l’Impératrice et le roi de Rome tombent entre les mains de l’ennemi. Vous serez plusieurs jours sans avoir de mes nouvelles ; si l’ennemi s’avance sur Paris avec des forces telles que toute résistance devienne inutile, faites partir dans la direction de la Loire la régente, mon fils, les grands dignitaires, les ministres, les officiers du Sénat, les présidents du Conseil d’État, les grands officiers de la couronne, le baron de la Bouillerie et le Trésor. Ne quittez pas mon fils, et rappelez-vous que je préférerais le savoir dans la Seine plutôt qu’entre les mains des ennemis de la France. Le sort d’Astyanax, prisonnier des Grecs, m’a toujours paru le sort le plus malheureux de l’Histoire.

Napoléon. »

Le sens prophétique de l’Empereur ne le trompait pas : son fils eut le sort d’Astyanax ; mais ce fut précisément pour avoir quitté Paris.

Cette communication atterra la majorité du conseil.

« Sire, dit aussitôt le duc de Cadore à Joseph, je connaissais la lettre que vient de lire Votre Majesté. Cette lettre a été écrite pour une circonstance différente de celle qui se présente ; elle ne saurait donc modifier l’opinion du conseil.

— Cette lettre a treize jours de date, dit à son tour M. Boulay (de la Meurthe) ; depuis cette époque, la même menace de danger qui nous fait délibérer s’est produite. Les Alliés se sont approchés de la capitale. Cependant l’Impératrice est restée. L’Empereur n’a blâmé ni Sa Majesté ni ses conseillers. Cette approbation tacite équivaut à un changement d’instructions.

— Dans tous les cas, ajouta M. de Talleyrand en se tournant vers l’Impératrice, Sa Majesté ne saurait courir le moindre péril, et il est impossible qu’elle n’obtienne pas de l’Empereur, son père, et des souverains alliés, des conditions meilleures que celles qu’ils accorderaient si elle était à 50 lieues de Paris. »