Aller au contenu

Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 1.djvu/341

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
336
— 1814 —

gie ! Eh bien, Joseph s’imagine cependant qu’il est en état de conduire une armée, et le routinier Clarke a tout l’orgueil d’un bon ministre[1] ! »

Après avoir laissé échapper ces aveux, critiques amères de son aveuglement et de ses faiblesses, Napoléon reprit le projet de continuer sa route. Vaincu, pourtant, par les observations et par les instances de Berthier, de Belliard et de Caulaincourt, il permit à ce dernier d’aller seul à Paris pour s’informer de la situation exacte des choses, pour intervenir, s’il était possible, au traité : et il consentit à attendre à la maison de poste de la Cour-de-France le courrier que le duc devait lui expédier. Ce courrier arriva à quatre heures du matin. Caulaincourt annonçait à l’Empereur que tout était consommé :

  1. En 1847, quatre ans après la première publication de ce volume, le comte de Montholon faisait paraître ses Récits sur la captivité de l’empereur Napoléon à Sainte-Hélène ; voici ce qu’on lit dans cet ouvrage, à l’occasion des événements que nous venons de raconter : « Tout le monde regarde Marmont comme un traître, nous dit l’Empereur, mais il y a bien des gens plus coupables que lui. Les hauteurs de Paris devaient être fortifiées, et elles ne l’étaient pas. La défection se montrait de tous côtés. On approvisionnait, avec des boulets de 8, des pièces de 6 ; on donnait ordre et contre-ordre ; on délibérait quand il fallait se battre. Le roi Joseph a perdu la tête. Il a été frappé d’épouvante par la gravité des événements. Un aide de camp de Marmont n’a pu le rattraper. On a dit que c’était pour me forcer à faire la paix. C’est absurde : Joseph savait bien que tout était perdu avec Paris. Il a vu un corps de cavalerie ennemie qui gagnait sur sa gauche, il a eu peur d’être coupé, il n’est pas militaire, et il est parti. J’ai eu grand tort de le faire roi, surtout en Espagne. Il fallait là un roi ferme et militaire. Joseph ne pensait à Madrid qu’aux femmes et à faire des jardins. Il a de l’esprit ; mais il se croit militaire, et il n’en a pas les moindres connaissances. Il m’a fait bien du mal en Espagne. Mes frères n’ont jamais rien compris aux événements ; ils les ont toujours vus comme des niais, et cependant ils ont tous beaucoup d’esprit. Lorsque j’étais Premier-Consul, ils n’avaient pas de maison, mais on leur faisait la cour à cause de moi. Lafayette et Mathieu de Montmorency étaient toujours chez Joseph. Lorsque je le fis roi, il me les demanda pour les attacher à sa maison. Je me moquai de lui, mais je le laissai libre de faire ce qu’il voudrait. Ils lui ont ri au nez quand il leur a proposé d’être ses chambellans. Mes frères n’avaient d’idée de rien. Ils m’ont fait bien du mal. Quand les événements leur ont fait perdre leurs couronnes, ils me le reprochèrent, comme si je les avais privés de l’héritage du feu roi notre père. Il est fou ; disaient-ils en parlant de moi. Les imbéciles ! » (T. II, p. 192, 193 et 194.)