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Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 1.djvu/369

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— 1814 —

pour indiquer la liberté que chacun de vous apporte dans cette Assemblée ; elle vous donne le moyen de laisser prendre un généreux essor aux sentiments dont l’âme de chacun de vous est remplie, la volonté de sauver votre pays et la résolution d’accourir au secours d’un peuple délaissé.

Sénateurs, les circonstances, quelque graves qu’elles soient, ne peuvent être au-dessus du patriotisme ferme et éclairé de tous les membres de cette Assemblée, et vous avez sûrement senti tous également la nécessité d’une délibération qui ferme la porte à tout retard et ne laisse pas écouler la journée sans rétablir l’action de l’administration, ce premier de tous les besoins, par la formation d’un gouvernement dont l’autorité, établie pour la nécessité du moment, ne peut qu’être rassurante. »

L’embarras de M. de Talleyrand, en lisant ces deux ou trois phrases obscures, incorrectes, écrites par l’abbé de Pradt, tenait moins sans doute aux difficultés de sa position qu’aux expressions dont l’archevêque de Malines avait cru devoir faire usage[1]. Son allocution, depuis le premier mot jusqu’au dernier, n’était qu’une indigne moquerie : il vantait l’esprit d’indépendance et de liberté qui allait présider aux délibérations du Sénat, quand les Sénateurs se réunissaient sur l’ordre donné par des souverains étrangers à qui le canon seul avait ouvert les portes de Paris et qu’appuyaient 200,000 soldats ; il invoquait leur patriotisme et leur fermeté, lorsqu’il devait exiger de leur soumission le renversement des institutions dont ils étaient précisément institués les conservateurs[2].

  1. L’abbé de Pradt a raconté que M. de Talleyrand était entré au Sénat avec deux discours différents, l’un écrit par lui, de Pradt, l’autre par un personnage qu’il ne nomme pas. Si le prince de Bénévent lut le projet de l’archevêque de Malines, ce ne fut pas, ajoute ce dernier, par un motif quelconque de préférence, mais uniquement parce qu’il porta la main dans sa poche gauche, au lieu de la mettre dans sa poche droite.
  2. Le Sénat conservateur, dans l’Adresse qu’il présenta à Napoléon après la fatale campagne de Russie, disait « qu’établi pour la conservation de la quatrième dynastie, la France et la postérité le trouveraient fidèle à ce devoir sacré et que tous ses membres seraient toujours prêts à périr pour la défense de ce palladium (la dynastie) de la prospérité nationale. » Le Sénat terminait en demandant le sacre du roi de Rome, afin, disait cette Assemblée, de lier les Français par un nouveau serment. Cette Adresse fut présentée le 27 décembre 1812, quinze mois avant la prise de Paris.