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Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 1.djvu/370

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— 1814 —

Mais le despotisme impérial avait si complétement éteint le sens moral de cette Assemblée, que ses membres entendirent et acceptèrent avec le plus grand sérieux les éloges décernés par M. de Talleyrand à leur civique énergie, et que, tout aussitôt, ils mirent au service de ce personnage l’obéissance mécanique a laquelle les avait habitués Napoléon.

Au Sénat devaient appartenir la formation du gouvernement provisoire et la nomination de ses membres. Ce gouvernement n’en avait pas moins été constitué, dès la veille au soir, par M. de Talleyrand, agissant dans son cabinet, sans autre assistance que celle de ses intimes. Membre obligé de ce nouveau pouvoir, il s’en était réservé la présidence et avait choisi pour collègues le duc de Dalberg, le comte François de Jaucourt, le général Beurnonville et l’abbé de Montesquiou. Un membre de l’Assemblée constituante, ancien évêque alors marié ; un duc d’origine allemande et de création impériale ; un ancien marquis devenu comte de l’Empire ; un ancien général de la République qu’avait longtemps signalé son exaltation révolutionnaire ; enfin, un membre du clergé, correspondant de Louis XVIII, voilà l’étrange assemblage politique qui devait présider au renversement de Napoléon et au rétablissement des Bourbons ; ces cinq personnages se trouvaient, en quelque sorte, résumer toutes les passions, tous les intérêts engagés dans les événements des vingt dernières années.

M. de Talleyrand n’eut besoin que d’annoncer ces choix pour les voir aussitôt acceptés par les Sénateurs et légalisés par un Sénatus-Consulte. Pas une observation ne s’éleva. À la vérité, cette réunion, pas plus que celles qui suivirent, n’avait rien de la solennité et des formes ordinaires d’une assemblée délibérante. Bien que revêtus de leur costume officiel, les Sénateurs causaient debout, divisés en petits groupes ou réunis autour du bureau, avec tout le laisser aller de gens qui s’entretiennent familièrement chez eux, entre eux et portes fermées. Quand M. de Talleyrand eut fait passer au secrétaire la