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Page:Victor Baudot - Au Pays des Peaux-Rouges.djvu/159

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en dehors de la Réserve durent venir au secours des Pieds-Noirs. Le grand jury de Benton adressa à la cour suprême d’Helena un réquisitoire sévère contre l’Agent prévaricateur, le major Jung. On l’accusait de taire de son Agence le refuge des voleurs de chevaux et le dépôt des objets dérobés.

Pour dire la vérité, j’ai moi-même pesé les rations des sauvages et constaté qu’ils ne recevaient que dix onces de viande par semaine, quand dix onces auraient à peine suffi pour un seul repas.

Il ne se passait pas de jour qu’un Pied-Noir ne tombât mort, de faim, et à certains jours on compta jusqu’à six morts. Les petits enfants mouraient comme des mouches, et moi-même j’eus souvent à souffrir de la famine. L’Agent pendant trois ans, craignant que je ne vinsse à connaître ses méfaits, me refusa obstinément la permission d’instruire les Pieds-Noirs  ; s’il me rencontrait quelque part, il m’ordonnait aussitôt de sortir de la Réserve et de n’y plus rentrer, sous prétexte qu’il avait tous les pouvoirs du Président des États-Unis. Et je partais… mais dès le lendemain je rentrais dans un camp ou dans un autre. Et cela pendant trois ans. Le major Jung doit m’avoir dénoncé comme rebelle au gouvernement de Washington. Pour moi, voyant que les Pieds-Noirs mouraient en si grand nombre, j’informai de cette déplorable situation quelques personnes influentes de Benton et l’autorité militaire de Port-Shair  ; ce qui amena l’expulsion de l’Agent.

Trois ans plus tard, je me trouvais dans la tribu des Cheyennes, quand un Inspecteur du gouvernement vint à la Mission et me demanda mon nom : «  Je m’appelle Prando,   » répondis-je. Et lui, prenant, un calepin, il se mit à le parcourir jusqu’à ce qu’il trouvât mon nom.