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Page:Vigny - Œuvres complètes, Poésies, Lemerre, 1883.djvu/34

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Et, pour nous faire entendre un de ces courts instants,
Il faut chercher pour eux un nom parmi les temps.)
Un jour, les habitants de l’immortel empire,
Imprudents une fois, s’unissaient pour l’instruire.
« Éloa, disaient-ils, oh ! veillez bien sur vous :
Un Ange peut tomber ; le plus beau de nous tous
N’est plus ici : pourtant dans sa vertu première
On le nommait celui qui porte la lumière ;
Car il portait l’amour et la vie en tout lieu,
Aux astres il portait tous les ordres de Dieu ;
La terre consacrait sa beauté sans égale,
Appelant Lucifer l’étoile matinale,
Diamant radieux, que sur son front vermeil,
Parmi ses cheveux d’or a posé le soleil.
Mais on dit qu’à présent il est sans diadème,
Qu’il gémit, qu’il est seul, que personne ne l’aime,
Que la noirceur d’un crime appesantit ses yeux,
Qu’il ne sait plus parler le langage des Cieux ;
La mort est dans les mots que prononce sa bouche ;
Il brûle ce qu’il voit, il flétrit ce qu’il touche ;
Il ne peut plus sentir le mal ni les bienfaits ;
Il est même sans joie aux malheurs qu’il a faits.
Le Ciel qu’il habita se trouble à sa mémoire,
Nul ange n’oserait vous conter son histoire,
Nul ange n’oserait dire une fois son nom. »
Et l’on crut qu’Éloa le maudirait ; mais non,
L’effroi n’altéra point son paisible visage,
Et ce fut pour le Ciel un alarmant présage.
Son premier mouvement ne fut pas de frémir,