Page:Vigny - Œuvres complètes, Poésies, Lemerre, 1883.djvu/50

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Le silence la suit ; tout dort profondément ;
L’ombre écoute un mystère avec recueillement.
Les vents, des prés voisins, apportent l’ambroisie
Sur la couche des bois que l’amant a choisie.
Bientôt deux jeunes voix murmurent des propos
Qui des bocages sourds animent le repos.
Au fond de l’orme épais dont l’abri les accueille,
L’oiseau réveillé chante et bruit sous la feuille.
L’hymne de volupté fait tressaillir les airs,
Les arbres ont leurs chants, les buissons leurs concerts,
Et, sur les bords d’une eau qui gémit et s’écoule,
La colombe de nuit languissamment roucoule.

« La voilà sous tes yeux l’œuvre du Malfaiteur ;
Ce méchant qu’on accuse est un Consolateur
Qui pleure sur l’esclave et le dérobe au maître,
Le sauve par l’amour des chagrins de son être,
Et, dans le mal commun lui-même enseveli,
Lui donne un peu de charme et quelquefois l’oubli. »
Trois fois, durant ces mots, de l’Archange naissante
La rougeur colora la joue adolescente,
Et, luttant par trois fois contre un regard impur,
Une paupière d’or voila ses yeux d’azur.