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Page:Vigny - Œuvres complètes, Poésies, Lemerre, 1883.djvu/52

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Déjà presque soumise au joug de l’Esprit sombre,
Elle descend, remonte, et redescend dans l’ombre.
Telle on voit la perdrix voltiger et planer
Sur des épis brisés qu’elle voudrait glaner,
Car tout son nid l’attend ; si son vol se hasarde,
Son regard ne peut fuir celui qui la regarde…
Et c’est le chien d’arrêt qui, sombre surveillant,
La suit, la suit toujours d’un œil fixe et brillant.

Ô des instants d’amour ineffable délire !
Le cœur répond au cœur comme l’air à la lyre.
Ainsi qu’un jeune amant, interprète adoré,
Explique le désir par lui-même inspiré,
Et contre la pudeur aidant sa bien-aimée,
Entraînant dans ses bras sa faiblesse charmée,
Tout enivré d’espoir, plus qu’à demi vainqueur,
Prononce les serments qu’elle fait dans son cœur,
Le prince des Esprits, d’une voix oppressée,
De la Vierge timide expliquait la pensée.
Éloa, sans parler, disait : « Je suis à toi. » ;
Et l’Ange ténébreux dit tout bas : « Sois à moi !
« Sois à moi, sois ma sœur, je t’appartiens moi-même ;
Je t’ai bien méritée, et dès longtemps je t’aime,
Car je t’ai vue un jour. Parmi les fils de l’air
Je me mêlais, voilé comme un soleil d’hiver.