Aller au contenu

Page:Vigny - Œuvres complètes, Poésies, Lemerre, 1883.djvu/74

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Tout avait par degrés disparu lentement :
Les cités n’étaient plus, rien ne vivait, et l’onde
Ne donnait qu’un aspect à la face du monde.
Seulement quelquefois sur l’élément profond
Un palais englouti montrait l’or de son front ;
Quelques dômes, pareils à de magiques îles,
Restaient pour attester la splendeur de leurs villes.
Là parurent encore un moment deux mortels :
L’un la honte d’un trône, et l’autre des autels ;
L’un se tenant au bras de sa propre statue,
L’autre au temple élevé d’une idole abattue.
Tous deux jusqu’à la mort s’accusèrent en vain
De l’avoir attirée avec le flot divin.
Plus loin, et contemplant la solitude humide,
Mourait un autre roi, seul sur sa pyramide.
Dans l’immense tombeau, s’était d’abord sauvé
Tout son peuple ouvrier qui l’avait élevé :
Mais la mer implacable, en fouillant dans les tombes,
Avait tout arraché du fond des catacombes :
Les mourants et leurs Dieux, les spectres immortels,
Et la race embaumée, et le sphinx des autels,
Et ce roi fut jeté sur les sombres momies
Qui dans leurs lits flottants se heurtaient endormies.
Expirant, il gémit de voir à son côté
Passer ces demi-dieux sans immortalité,
Dérobés à la mort, mais reconquis par elle
Sous les palais profonds de leur tombe éternelle ;
Il eut le temps encor de penser une fois
Que nul ne saurait plus le nom de tant de rois,