Page:Vigny - Stello ou Les diables bleus, 1832.djvu/235

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de marquer au front nos enfants pour le moindre de nos désirs.

Cependant, poursuivit-elle en laissant tomber sa belle tête avec abandon sur sa poitrine, il est de mon devoir d’amener mon enfant jusqu’au jour de sa naissance, qui sera la veille de ma mort. — On ne me laisse sur la terre que pour cela, je ne suis bonne qu’à cela, je ne suis rien que la frêle coquille qui le conserve et qui sera brisée après qu’il aura vu le jour. Je ne suis pas autre chose ! pas autre chose, monsieur ! Croyez-vous… (et elle me prit la main), croyez-vous qu’on me laisse au moins quelques bonnes heures pour le regarder, quand il sera né ? — S’ils vont me tuer tout de suite, ce sera bien cruel, n’est-ce pas ? — Eh bien ! si j’ai seulement le temps de l’entendre crier et de l’embrasser tout un jour, je leur pardonnerai, je crois, tant je désire ce moment-là ! »

Je ne pouvais que lui serrer les mains ; je les baisai avec un respect religieux et sans rien dire, crainte de l’interrompre.

Elle se mit à sourire avec toute la grâce d’une