Aller au contenu

Page:Vladimir Soloviev - La Russie et l Eglise Universelle, Stock, 1922.djvu/352

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’union morale avec la Divinité. Ainsi son pouvoir, basé sur sa supériorité morale, est une image fidèle et directe, quoique faible et limitée, de la Toute-Puissance divine, qui n’est pas une force aveugle, mais la conséquence logique de la perfection intrinsèque et essentielle de l’être absolu. Dans la mesure où le saint participe à cette perfection, il participe aussi à la puissance divine et présente une anticipation de notre état définitif, non seulement réelle, mais intérieurement vraie, parfaite en soi, quoique extérieurement incomplète.

Comparons maintenant, dans un tout autre domaine du prophétisme, le grand sage grec avec un nabi hébreu. Platon, dans sa République, nous donne l’idéal de la société humaine organisée sur les principes de la justice et de la raison. C’est l’anticipation d’un avenir réalisé en partie par la société européenne du moyen âge[1]. Platon était donc prophète, mais il l’était comme le sorcier africain est thaumaturge : il ne possédait et ne connaissait même pas les vraies conditions dans lesquelles son idéal devait être réalisé. Il ne comprenait pas que, pour l’organisation équitable et rationnelle de l’être social, la justice et la raison humaines ne suffisent pas : que l’idéal d’une société juste et sage, pensé par un philosophe, doit encore être fécondé

  1. Voir entre autres sur cette analogie de la République platonicienne et de la République chrétienne, Ranke, dans son Histoire Universelle.