Aller au contenu

Page:Vladimir Soloviev - La Russie et l Eglise Universelle, Stock, 1922.djvu/366

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour tout ce qui doit rapprocher l’humanité de son avenir idéal. Le gouvernement athénien, tout démocratique qu’il fût, devait nécessairement exiler Anaxagore et empoisonner Socrate, au nom de la patrie, c’est-à-dire de l’État absolu. Dans ces conditions, le mouvement progressif de la pensée religieuse et philosophique est fatalement amené à rompre avec les puissances du présent et la tradition du passé, avec l’État et la religion d’État. La pensée devient cosmopolite ; et si Socrate et Platon méprisaient la démocratie athénienne, Aristote méprise toutes les constitutions républicaines des cités grecques en leur préférant la monarchie à demi barbare des Macédoniens ; et enfin les philosophes cyniques et stoïques rejettent toute idée de patrie et d’État, se déclarant étrangers à tout intérêt public. L’indépendance et l’organisation politique de l’Hellade furent détruites par la philosophie et la religion philosophique, qui ne mit rien à la place de la patrie en ruines.

Cet antagonisme entre l’actualité nationale, représentée par les républiques grecques, et la pensée supérieure, l’avenir de la nation représenté par l’idéalisme grec ; cette lutte entre l’État et la philosophie fut fatale à l’un et à l’autre. L’État y perdit sa raison d’être ; l’idéal des sages manqua de toute application concrète et vivante. L’État, qui voulait s’appuyer exclusivement sur la force, périt par la force ; et la sagesse, qui méprisait trop la réalité,