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Page:Vladimir Soloviev - La Russie et l Eglise Universelle, Stock, 1922.djvu/86

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qu’il n’est pas indispensable qu’un peuple porte en lui-même une idée déterminée et poursuive un but supérieur dans l’humanité, mais qu’il suffit pleinement d’être indépendant, d’avoir des institutions appropriées à son caractère national et assez de puissance et de prestige pour défendre avec succès ses intérêts matériels dans les affaires du monde. Désirer tout cela pour son pays, travailler à le rendre riche et puissant — en voilà assez pour un bon patriote. Cela revient à dire que les nations vivent du seul pain quotidien, ce qui n’est ni vrai ni désirable. Les peuples historiques ont vécu non seulement pour eux-mêmes mais aussi pour l’humanité entière en achetant par des œuvres immortelles le droit d’affirmer leur nationalité. C’est le caractère distinctif d’une grande race ; et le patriotisme qui n’en comprend pas le prix est un patriotisme de mauvais aloi.

On ne demande pas quelle est la mission historique des Ashantis ou des Esquimaux. Mais quand une nation chrétienne aussi étendue et nombreuse que la nôtre, comptant mille ans d’existence et pourvue des moyens extérieurs nécessaires pour jouer un rôle dans l’histoire universelle, affirme sa dignité de grande nation et prétend à une hégémonie sur les peuples de la même race et à une influence décisive sur la politique générale, — on doit bien savoir quels sont ses vrais titres à un tel rôle historique, quel principe ou quelle idée elle