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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/336

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gement de votre cœur ; le mien est pénétré de l’état où vous êtes. Puissent les belles-lettres vous consoler ! elles sont en effet le charme de la vie quand on les cultive pour elles-mêmes, comme elles le méritent ; mais, quand on s’en sert comme d’un organe de la renommée, elles se vengent bien de ce qu’on ne leur a pas offert un culte assez pur : elles nous suscitent des ennemis qui persécutent jusqu’au tombeau. Zoïle eût été capable de faire tort à Homère vivant. Je sais bien que les Zoïles sont détestés, qu’ils sont méprisés de toute la terre, et c’est là précisément ce qui les rend dangereux. On se trouve compromis[1], malgré qu’on en ait, avec un homme couvert d’opprobres.

Je voudrais, malgré ce que je vous dis là, que votre ouvrage fût public car, après tout, quel Zoïle pourrait médire de ce que l’amitié, la douleur, et l’éloquence, ont inspiré à un jeune officier ; et qui ne serait étonné de voir le génie de M. Bossuet à Prague ? Adieu, monsieur ; soyez heureux, si les hommes peuvent l’être ; je compterai parmi mes beaux jours celui où je pourrai vous revoir.

Je suis avec les sentiments les plus tendres, etc.


1689. — À M. LE MARQUIS D’ARGENSON,
ministre des affaires étrangères.
Le jour de la Circoncision 1745.

Monsieur Bon[2], premier président,
Dans vos vers me parait plaisant ;
Mais les Anglais ne le sont guères.
Ils descendent assurément
De ces aragnes[3] carnassières
Dont vous parlez si sagement.
Puissent ces méchants insulaires,
Selon leurs coutumes premières,
Prendre le soin de s’égorger !

  1. Voltaire ne l’avait que trop éprouvé, à la fin de 1738 et au commencement de 1739, dans sa querelle avec l’auteur de la Voltairomanie.
  2. François-Xavier Bon de Saint-Hilaire, ancien premier président de la chambre des comptes de Montpellier, et l’un des correspondants honoraires de l’Académie des inscriptions, particulièrement connu alors par une Dissertation sur l’araignée. Mort en janvier 1761. (Cl.)
  3. Dans les vers rappelés ici par Voltaire, le marquis d’Argenson comparait les souverains à des araignées dont les plus grosses dévorent les petites. Il est question de ces araignées dans les lettres 1744 et 1783.