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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/41

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tations. Je vous envoie mon petit grimoire[1] ; vous verrez seulement, par la première partie, si je vous ai bien entendu ; et, en cas que vous trouviez quelques réflexions un peu neuves dans la seconde, vous pourrez montrer mes questions à votre aréopage.

Je serai curieux de savoir si on croit que je suis dans le bon chemin. Voilà tout ce que je prétends. Je ne veux point une approbation, mais une décision. Ai-je tort ? Ai-je raison ? Ai-je bien ou mal pris vos idées ?

Vous recevrez peut-être la réponse de Mme la marquise du Châtelet imprimée[2], en recevant mon manuscrit. Puisque vous avez eu la patience de lire mon essai sur la métaphysique de Leibnitz, vous avez déjà vu que l’amitié ne me donne ni ne m’ôte mes opinions. Ce petit traité, mal imprimé en Hollande, fait partie d’une introduction aux Éléments de Newton qu’on réimprime ; et c’est à Mme du Châtelet elle-même que j’adresse et que je dédie cet ouvrage, dans lequel je prends la liberté de la combattre. Il me semble que c’est là, pour les gens de lettres, un bel exemple qu’on peut être tendrement et respectueusement attaché à ceux que l’on contredit[3].

Je me flatte donc que votre petite guerre avec Mme du Châtelet ne servira qu’à augmenter l’estime et l’amitié que vous avez l’un pour l’autre. Elle est un peu piquée que vous lui ayez reproché qu’elle n’a pas lu assez votre mémoire. Je voudrais qu’elle fût persuadée des choses que vous y dites autant qu’elle les a lues ; mais songeons, mon cher et aimable philosophe, combien il est difficile à l’esprit humain de renoncer à ses opinions. Il n’y a que l’auteur du Télémaque à qui cela soit arrivé. C’est qu’il aima mieux sacrifier le quiétisme que son archevêché ; et Mme du Châtelet ne veut point sacrifier les forces-vives, même à vous.

Elle ne peut point convenir qu’il soit possible d’épuiser la force à former des ressorts, et de la reprendre ensuite. Elle trouve là une contradiction qui la frappe. J’ai beau faire nous disputons tout le jour, et nous n’avançons point. Voilà pourquoi je veux savoir si son opiniâtreté ne vient pas en partie de ses lumières, et en partie de ce que je soutiens mal votre cause.

  1. La nouvelle copie des Doutes cités plus haut, lettre 1421.
  2. Voyez la note 4 de la page 31.
  3. Mme du Châtelet, dans une lettre du 22 mars 1741, à d’Argental, disait, en parlant de Voltaire et d’elle-même : « On ne peut imaginer un plus grand contraste dans les sentiments philosophiques, ni une plus grande conformité dans tous les autres. »