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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/142

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Il faut au moins que je l’amuse d’une petite aventure de nos climats pacifiques. J’ai quelques terres dans le pays de Gex, aux portes de Genève ; les jésuites en ont aussi, et ce sont mes voisins. Non contents du royaume du ciel, dont ils sont sûrs, ils avaient usurpé un domaine très-considérable sur six pauvres gentilshommes, tous frères, tous mineurs, tous servant dans le régiment de Deux-Ponts. J’ai pris le parti de ces messieurs. Il fallait quelque argent ; je l’ai donné. Calvin ne me le rendra pas ; mais enfin j’ai arraché le bien des mains des jésuites, et je l’ai fait rendre aux propriétaires : voilà, madame, ma bataille de Lissa. Je sais bien que saint Ignace ne me pardonnera pas ; mais n’est-il pas vrai que je trouverai grâce à vos yeux, madame ? Il n’y a point de saint dont j’ambitionne la protection comme la vôtre. Je suis sûr que la grande maîtresse des cœurs rira de me voir vainqueur des jésuites ; elle aimera les guerres qui finissent par rendre à chacun ce qui lui appartient.

On dit Pondichéry au pouvoir des Anglais : j’y perds quelque chose ; mais si cela donne la paix, je me console.

Je me mets aux pieds de Votre Altesse sérénissime et de toute votre auguste famille, avec le plus tendre respect.

Le Suisse V.

4398. — À M. HELVÉTIUS,
à paris.
À Ferney, 2 janvier 1761.

Je salue les frères, en 1761, au nom de Dieu et de la raison, et je leur dis : Mes frères,


Odi profanum vulgus, et arceo.

(Hor., lib. III, od. I.)


Je ne songe qu’aux frères, qu’aux initiés. Vous êtes la bonne compagnie : donc c’est à vous à gouverner le public, le vrai public devant qui toutes les petites brochures, tous les petits journaux des faux chrétiens disparaissent, et devant qui la raison reste. Vous m’écrivîtes, mon cher et aimable philosophe, il y a quelque temps, que j’avais passé le Rubicon ; depuis ce temps je suis devant Rome. Vous aurez peut-être ouï dire à quelques frères que j’ai des jésuites tout auprès de ma terre de Ferney ; qu’ils avaient usurpé le bien de six pauvres gentilshommes, de six frères, tous officiers dans le régiment de Deux-Ponts ; que les jésuites, pendant la minorité de ces enfants, avaient obtenu des lettres pa-