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Page:Weil - La Connaissance surnaturelle, 1950.djvu/200

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faut dresser le corps à n’écouter que la partie supérieure de l’âme. Comment ?

Traiter la partie inférieure de l’âme comme un enfant qu’on laisse crier jusqu’à ce qu’il en ait assez et se taise. Rien dans l’univers ne l’entend. Au lieu que Dieu entend le silence même qui Lui est adressé par la partie éternelle de l’âme.

« Ne pas s’écouter. »

Faire taire ces animaux en moi qui crient et empêchent Dieu de m’entendre et de me parler. Pour imposer silence, le mieux est de faire comme si on n’entendait pas. Ceux qui constatent qu’ils ne sont pas entendus finissent par se lasser et se taire. Ces animaux en moi ne seront entendus par personne si je ne leur prête pas ma voix. En plus, il ne faut pas que je les entende non plus, ou du moins il faut que je n’en témoigne rien.

Qu’ils sachent toujours, dès qu’ils se mettent à crier, qu’ils ne seront entendus par rien au monde — ni par les choses, ni par les hommes, ni par Dieu, ni par moi.

Ces animaux, c’est ce qui en moi, avec divers accents de tristesse, d’exultation, de triomphe, de peur, d’angoisse, de douleur, et toute autre nuance d’émotion, crie sans aucun arrêt « moi, moi, Moi, moi, Moi ».

Ce cri n’a aucun sens et ne doit être entendu par rien ni personne.

Ces animaux ont l’habitude de crier sans arrêt, jour et nuit, à travers le sommeil même, chaque seconde.

Il ne faut pas leur enseigner des sons et des intonations.

Il faut les amener à se taire parfois quelques instants. Puis les dresser à se taire de plus en plus souvent, de plus en plus longtemps. Puis obtenir, si on peut, leur silence total. S’ils peuvent mourir avant le corps, c’est le mieux.

Tant que le corps leur obéit, ils croient dialoguer avec l’univers. Car à cause de la perspective, l’univers change pour celui dont le corps a fait dix pas. Si le corps ne leur obéit, et si la parole ne les traduit pas, ils sont forcés de constater que rien au monde ne les entend.