Aller au contenu

Page:Weil - La Connaissance surnaturelle, 1950.djvu/233

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce qu’il s’agit d’embrasser, ce n’est pas la cruauté, c’est l’indifférence et la brutalité aveugles. Ainsi seulement l’amour devient impersonnel.

Si l’amour ne trouve aucun objet, l’être qui aime doit aimer son amour même, saisi comme quelque chose d’extérieur. Alors on a trouvé Dieu.

« Amare amabam. » Il avait trouvé, s’il s’en était tenu là.


Comme les Hindous l’ont vu, la grande difficulté, pour chercher Dieu, c’est que nous le portons au centre de nous-mêmes. Comment aller vers moi ? Chaque pas que je fais me mène hors de moi. C’est pourquoi on ne peut pas chercher Dieu.

Le seul procédé, c’est de sortir de soi et de se contempler du dehors. Alors, du dehors, on voit au centre de soi Dieu tel qu’il est.

Sortir de soi, c’est la renonciation totale à être quelqu’un, le consentement complet à être seulement quelque chose.

Beaucoup d’êtres humains usés par le malheur en sont arrivés malgré eux à être seulement quelque chose à leurs propres yeux. Il n’y a peut-être plus rien à faire en ce cas, car on ne peut plus consentir à devenir ce qu’on est déjà devenu malgré soi.

Traités avec un vrai amour — mais l’amour ne peut leur être accordé que par miracle — ils peuvent redevenir quelqu’un, ne fût-ce que quelques instants, et avoir ainsi une chance, fût-elle minime ; de gagner l’éternité en consentant à retomber à l’état de chose.

Celui qui donne un morceau de pain sans un mot, si le geste est celui qui convient, donne ainsi parfois en même temps la vie éternelle. Un tel geste peut avoir une valeur rédemptrice très supérieure à beaucoup de sermons.

Le Christ a fait cela pour nous. En devenant pour nous chose comestible, il nous persuade que nous sommes quelqu’un, et nous permet ainsi de désirer être seulement quelque chose, comme lui.

Donner un morceau de pain est plus que faire un