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Page:Weil - La Connaissance surnaturelle, 1950.djvu/308

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Le Christ en croix, abandonné corps et âme. Seul il pouvait dans cet état aimer le Père. Seul le Père pouvait l’aimer dans cet état.


Le temps est notre supplice. L’homme ne cherche qu’à y échapper, c’est-à-dire échapper au passé et à l’avenir en s’enfonçant dans le présent, ou se fabriquer un passé et un avenir à sa guise.

On échappe au temps en restant au-dessous — la chair en donne le moyen — ou en passant au-dessus, dans l’éternité. Mais pour passer au-dessus il faut traverser le temps tout entier, dans sa longueur infinie, nous qui ne vivons qu’un moment. Dieu en donne le moyen à ceux qui l’aiment.

Seul celui qui comme Job au fond du malheur essaye encore d’aimer Dieu sent dans sa plénitude et au centre même de l’âme toute l’amertume du malheur. S’il renonçait à aimer Dieu, il ne souffrirait pas ainsi. De même Prométhée. Dans cet état, l’âme est déchirée, clouée aux deux pôles de la création, la matière inerte et Dieu. Ce déchirement est la reproduction dans une âme finie de l’acte créateur de Dieu. Peut-être faut-il passer par là pour sortir de la création et retourner au principe.

Qui est pris par le malheur quand il n’a pas encore même commencé à aimer Dieu est détruit.

On peut peut-être regarder cet accident comme équivalent à une mort prématurée. Nous en ignorons les effets.

Peut-être notre plus grande cruauté est-elle impuissante à faire vraiment du mal à une âme, mais s’il en est ainsi nous l’ignorons et nous n’avons pas le droit de le savoir.

Zagreus. Narcisse.

Zagreus a été pris au piège par un miroir. Narcisse aussi. Zagreus et Narcisse sont le même être. Le Verbe divin.

Ce miroir, c’est la création. Dieu est pris au piège par le mal alors qu’il regarde sa création. Il est pris et soumis à la Passion.