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Page:Weil - La Connaissance surnaturelle, 1950.djvu/95

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d’une contemplation qui est la source d’une joie secrète et pure.

Ma propre âme, mon propre moi est au nombre de ces possibles temporels et changeants.

La subordination de mon moi, de mon âme, de mon corps, de tous mes désirs à des limites inflexibles est un objet de contemplation qui est la source d’une joie secrète et qui comble.

D’autres hommes aussi, quand par l’imagination je loge mon moi en eux.

La satisfaction d’un désir rend cette subordination sensible si les causes en sont claires, clairement étrangères au désir lui-même, si la satisfaction est sentie comme précaire.

Alors manger un morceau de pain quand on a faim est communier avec l’univers et son Créateur.

Le malheur rend cette subordination bien plus sensible, pourvu que le mécanisme des causes soit clair. De là vient la sauvage beauté du malheur.

Apprendre l’obéissance, comme a fait le Christ, c’est cela.

Le Christ a été enchaîné comme l’océan.

τοῦτο δὸς ἐμοί.

La seule partie de notre âme dont il ne convient pas qu’elle soit sujette au malheur est celle qui est située dans l’autre monde. Le malheur n’a pas pouvoir sur elle — car peut-être, comme disait Maître Eckart, elle est incréée — mais il a le pouvoir de la séparer violemment de la partie temporelle de l’âme, de sorte que, bien que l’amour surnaturel réside dans l’âme, la douceur n’en est pas sentie. C’est alors que s’élève le cri : « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

Une fois qu’on a reconnu Dieu comme le bien suprême et réel, éternellement satisfait par soi-même, c’est assez. On peut supposer que non seulement Il ne récompense ni ne punit ses créatures, mais que même Il ignore leurs efforts pour lui obéir, leurs défaillances ou leurs révoltes. On ne désirera pas moins lui obéir plus que toute autre chose, avec un désir plus fort que la faim, la soif, la flamme charnelle ou le besoin d’un