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Page:Weil - La Source grecque, 1953.djvu/105

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ténèbres. Car une fois que vous serez accoutumés, vous verrez mille fois mieux que ceux d’en bas ; vous connaîtrez chacune de ces apparences, vous saurez de quoi elle est l’apparence et ce qu’elle est, et cela parce que vous avez vu la vérité concernant les choses belles, justes et bonnes. Et ainsi nous et vous ensemble habiterons cette ville en état de veille et non pas en rêve, comme c’est le cas actuellement ; car la plupart des cités (i.e. âmes) sont habitées par des gens qui livrent des combats d’ombres et font des luttes de partis pour s’emparer du pouvoir comme si c’était là un grand bien. Or voici la vérité : la cité où ceux qui doivent commander sont le moins désireux de commander est la meilleure et la plus paisible, et c’est le contraire pour celle où ils ont la disposition contraire. » [Action non agissante.] Quand nous tiendrons ce langage à ceux que nous aurons élevés, est-ce qu’ils désobéiront ? C’est impossible, car nous imposons des obligations justes à des hommes justes[1]. »


Il faut se rappeler que cette cité est une fiction, un pur symbole qui représente l’âme. Platon le dit : « C’est dans le ciel peut-être qu’il y a un modèle de cette cité pour quiconque veut le voir, et, le voyant, fonder la cité de son propre moi[2]. » Les différentes catégories de citoyens représentent les différentes parties de l’âme. Les philosophes, ceux qui sortent de la caverne, c’est la partie surnaturelle de l’âme. L’âme tout entière doit se détacher de ce monde-ci, mais c’est seulement la partie surnaturelle qui entre en rapport avec l’autre. Quand la partie surnaturelle a vu Dieu face à face, il faut qu’elle se tourne vers l’âme pour la régir, afin que l’âme entière soit en état de veille, au lieu qu’elle est en état de rêve chez tous ceux chez qui la délivrance n’a pas été accomplie. La partie naturelle de l’âme, détachée d’un monde, hors d’état d’atteindre l’autre, est à vide pendant l’opération de la délivrance. Il faut lui rendre le contact avec ce monde qui est le

  1. République, VII, 519 c-520 e.
  2. République, IX, 592 b.