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Page:Weil - La Source grecque, 1953.djvu/120

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phénomènes qui accompagnent la grâce. Il n’y a aucune raison de ne pas tenter une telle théorie. La grâce vient d’en haut, mais elle tombe dans un être qui a une nature psychologique et physique, et il n’y a aucune raison de ne pas rendre compte de ce qui se produit dans cette nature au contact de la grâce.

L’idée de Platon, c’est que la beauté agit doublement, d’abord par un choc qui provoque le souvenir de l’autre monde, puis comme source matérielle d’une énergie directement utilisable pour le progrès spirituel. Chaleur, nourriture, ces images indiquent de l’énergie. Les objets sont des sources d’énergie, mais l’énergie a des niveaux différents. Par exemple, dans la guerre, une décoration est réellement une source d’énergie (au sens physique, littéral du mot) au niveau du courage militaire ; elle fait faire des mouvements qu’autrement on n’aurait pas la force de faire. L’argent, pour le travail. D’une manière générale, tout ce qui est désiré est source d’énergie, et l’énergie est du même niveau que le désir. La beauté comme telle est source d’une énergie qui est au niveau de la vie spirituelle, et cela du fait que la contemplation de la beauté implique le détachement. Une chose perçue comme belle est une chose à quoi on ne touche pas, à quoi on ne veut pas toucher, de peur d’y nuire. Pour transmuer en énergie spirituellement utilisable l’énergie fournie par les autres objets de désir, il faut un acte de détachement, de refus. Refuser la décoration, donner l’argent. Au lieu que l’attrait de la beauté implique par lui-même un refus. C’est un attrait qui tient à distance. Ainsi le beau est une machine à trans muer l’énergie basse en énergie élevée.

Cette analyse est transposable à toute espèce de progrès spirituel. Partout où il y a amour il y a beauté sensible. Une religion n’est pas concevable sans signes, et ces signes sont beaux. La messe agit sur l’âme par une beauté analogue à celle des œuvres d’art. La vertu, la sainteté d’un être humain apparaissent au dehors comme beauté sensible dans l’expression du visage, ou les gestes, ou les attitudes, ou sa voix ou une partie quelconque du comportement.