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Page:Weil - La Source grecque, 1953.djvu/148

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3o l’homme parfaitement juste, qui est autre chose, et qui pourtant est la même chose que la justice.

De celui-là il s’abstient avec raison de prouver l’existence ou même la possibilité qu’il existe. Car l’existence est une chose qui ne se prouve pas, qui se constate. Mais toute la pensée de Platon tend à établir la convenance (au sens de Saint Thomas) de l’existence d’un homme parfaitement juste. Convenance sensible à l’amour et non à l’intelligence. Car la conception fondamentale de Platon est que le parfait est plus réel que l’imparfait. Or il n’y a pas d’autre réalité possible pour un homme que l’existence terrestre. Un homme qui n’existe pas, n’existera pas, ou n’a pas existé sur terre est une simple vue de l’esprit. Or il ne convient pas que les justes à peu près justes soient réels, et le juste parfaitement juste une vue de l’esprit. L’injuste tout à fait injuste, lui, peut être une vue de l’esprit. Il y a là une espèce de preuve ontologique de l’Incarnation. Comme cette justice en soi est Dieu en tant que juste (cf. Phèdre), de même aussi ce juste parfait, s’il peut exister, ne peut être que Dieu.

Tout Platon est une preuve ontologique. Raisonnement mystérieux parce qu’il n’a de sens que pour l’amour.

Le bien est réel, i.e. l’amour n’est pas imaginaire.