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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/128

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caractère, il faut qu’on ait tout à fait perdu la notion de ce qu’est la science.

Une chose qui me choque bien plus, c’est cette « constante de Planck » qui apparaît dans toutes les expressions mathématiques, et que personne ne sait traduire en termes physiques. Si quelqu’un y arrive, c’est lui qui aura accompli la synthèse entre les deux hypothèses de l’ondulation et de la projection, non de Broglie.

Pour bien des raisons, je crois comme vous que la science entre dans une période de crise plus grave qu’au ve siècle, et comme alors, accompagnée d’une crise de la morale et de l’agenouillement devant les valeurs purement politiques, c’est-à-dire devant la force. Le phénomène nouveau de l’État totalitaire rend cette crise infiniment redoutable, et risque d’en faire une agonie.

C’est pourquoi il y a pour moi, parmi les hommes, d’un côté ceux qui pensent et aiment (combien de fois, en Italie, la lecture des affiches ne m’a-t-elle pas vivement remis en mémoire le beau vers de Sophocle, prononcé par Antigone : « Je suis née pour partager l’amour et non la haine »), de l’autre ceux qui inclinent leur pensée et leur cœur devant la puissance déguisée en idées.

Si notre époque est celle d’une crise de la science comparable à celle du ve siècle, il en résulte un devoir évident : refaire un effort de pensée analogue à celui d’Eudoxe.