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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/129

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LA SCIENCE ET NOUS


Il s’est passé pour nous, gens d’Occident, une chose bien étrange au tournant de ce siècle ; nous avons perdu la science sans nous en apercevoir, ou tout au moins ce que depuis quatre siècles on appelait de ce nom. Ce que nous possédons sous ce nom est autre chose, radicalement autre chose, et nous ne savons pas quoi. Personne peut-être ne sait quoi. Le grand public s’est aperçu de quelque chose de singulier vers 1920, à propos d’Einstein, et bien entendu a admiré, car n’est-il pas convenu que notre siècle est admirable ? Mais la théorie de la relativité n’a rien eu à renverser, car vers 1900 celle des quanta avait déjà tout renversé. D’ailleurs, si bizarre que soient l’application d’une géométrie non euclidienne, la courbure de l’espace, le temps considéré comme dimension, une vitesse à la fois infinie et mesurable, du moins la notion qui a donné son nom à la théorie d’Einstein, l’idée que mouvement et repos ont un sens seulement par rapport à un système de référence, n’est ni nouvelle ni étrange ; elle se trouve dans Descartes, et si Newton l’a repoussée, ce n’était pas comme une absurdité évidente. Il en est tout autrement des quanta d’énergie.