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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/130

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La théorie des quanta marque une rupture dans l’évolution de la science de deux manières. Elle marque, d’abord, le retour du discontinu. Le nombre, autant qu’on peut savoir, fut d’abord le seul objet auquel s’appliquât la méthode mathématique ; l’étude en avait été poussée si loin qu’un adolescent babylonien d’il y a quatre mille ans savait à peu près autant d’algèbre qu’un lycéen français d’aujourd’hui, mais cette algèbre consistait en équations numériques. D’ailleurs certains énoncés de problèmes — l’un d’eux parle d’une somme de deux nombres dont l’un est un nombre de jours, l’autre un nombre d’ouvriers — semblent indiquer que l’algèbre était alors ce qu’elle est aussi aujourd’hui dans certains esprits, un maniement de rapports de pure convention, non pas une connaissance du monde ; le monde ne fournit jamais de telles données.

Autant que nous sachions, c’est en Grèce, au vie siècle, que la méthode mathématique sortit du nombre et s’appliqua au monde, et cela en prenant pour objet le continu. Que ce changement d’objet ait été conscient de la part des Grecs, nous en avons pour marque le fait que, jusqu’à une époque très tardive, jusqu’à Diophante, ils ont toujours feint d’ignorer l’algèbre et ses équations ; ils n’admettaient les relations algébriques qu’habillées en propositions géométriques. L’Épinomis définit la géométrie comme « une assimilation des nombres qui ne sont pas semblables entre eux naturellement, assimilation rendue évidente grâce aux propriétés des figures planes » ; c’est la définir comme la science du nombre généralisé, c’est-à-dire de la quantité, exprimable ou non exprimable en nombres et fractions. L’expression de nombres semblables semble indiquer que la construction