Aller au contenu

Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grecque, expression comme elle des combinaisons entre grandeurs continues analogues aux distances, joua le même rôle comme instrument pour la connaissance de la nature. Les séries de Fourier concernant la chaleur en sont un brillant exemple.

Mais l’esprit humain ne peut s’en tenir ni au nombre ni au continu ; il va de l’un à l’autre, et quelque chose dans la nature répond à l’un et à l’autre, sans quoi l’homme tel qu’il est, l’homme qui pense toujours le nombre et l’espace, ne pourrait pas vivre. Au cours et surtout vers la fin du xixe siècle, le discontinu s’imposa de nouveau à la pensée scientifique dans toutes les branches de la science. En mathématique, les groupes et tout ce qui en procède, l’extension de l’arithmétique et ses rapports nouveaux avec l’analyse ; en physique les atomes, la théorie cinétique des gaz, les quanta ; toutes les lois chimiques ; en biologie, les mutations ; ce sont là autant de marques du retour de la science au discontinu. Ce retour, étape d’un balancement inévitable entre deux notions corrélatives, n’a rien que de naturel ; ce qui est, sans exagération, contraire à la nature, c’est l’usage du discontinu dans la physique contemporaine, lorsqu’on divise en atomes l’énergie, qui n’est pas autre chose qu’une fonction de l’espace. Par là ce qu’en 1900 on appelait encore la science, ce qu’il faut appeler aujourd’hui la science classique, a disparu, car on en a supprimé radicalement la signification.

Les savants qui se sont succédé depuis la Renaissance jusqu’à la fin du xixe siècle n’ont pas fait effort simplement pour accumuler des expériences ; ils avaient un objet ; ils poursuivaient une représentation de l’univers. Le modèle de cette représentation, c’est le travail, ou plus exactement la forme