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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/154

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nulle part ; seul il convient aux astres, seul il peut leur être appliqué sans diminuer leur pouvoir d’évoquer pour nous tout ce qui est éternel. Les Grecs avaient raison de penser qu’une telle convenance suffit à rendre une hypothèse légitime, car rien d’autre au monde ne peut la rendre plus légitime. La nécessité aveugle, qui nous tient par la contrainte et qui nous apparaît dans la géométrie, est pour nous une chose à vaincre ; pour les Grecs, c’était une chose à aimer, car c’est Dieu même qui est le perpétuel géomètre. Depuis l’éclair de génie de Thalès jusqu’au moment où les armes romaines les écrasèrent, dans les retours réguliers des astres, dans les sons, dans les balances, dans les corps flottants sur les fluides, partout ils s’appliquaient à lire des proportions pour aimer Dieu.

Les formes différentes qu’a prises selon les pays et les époques la connaissance du monde ont chacune pour objet, pour modèle et pour principe le rapport entre une aspiration de la pensée humaine et les conditions effectives de sa réalisation, rapport qu’on essaie de lire à travers les apparences dans le spectacle du monde et d’après lequel on construit une image de l’univers. Par exemple la magie ressemble à la science classique par choix de l’aspiration à laquelle elle a égard, et qui est un désir quelconque ; mais elle considère comme conditions des rites et des signes, lesquels sont effectivement des conditions pour la réussite de l’action humaine, mais variables avec la société. La science grecque, elle, considère les mêmes conditions que la science classique, mais elle a égard à une aspiration tout autre, l’aspiration à contempler dans les apparences sensibles une image du bien. L’aspiration qui correspond à ce qu’on a nommé les sciences traditionnelles semble tendre vers des pouvoirs analogues à ceux qu’un