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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/204

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cultivé craindrait de passer pour un sot en avouant aux autres ou à lui-même qu’il est incapable d’entrevoir la moindre signification philosophique liée aux innovations de la science contemporaine ; il préfère leur en inventer une, nécessairement très nuageuse. Le dernier livre de Planck traduit en français, sous le titre « Initiations à la physique », livre plus qu’aux trois quarts rempli de considérations philosophiques, a fourni une nouvelle illustration au conte d’Andersen. Car certains critiques, sur la foi de la renommée scientifique de l’auteur, ont cru voir dans ce livre une pensée profonde ; ils ont fait quelques citations pour appuyer leur jugement, et ces citations étaient des lieux communs d’une rare platitude.

Si l’on faisait abstraction de la personne de l’auteur, ce livre serait à vrai dire, sauf quelques pages, presque vide d’intérêt. Tout ce qui s’y rapporte à la philosophie générale, Dieu, l’âme humaine, la liberté, la connaissance, l’existence du monde extérieur, est fort médiocre, généralement sensé, mais banal, vague et superficiel. On y voit avec évidence que Planck n’était pas un grand esprit. On y voit aussi, chose fort piquante, que cet auteur responsable d’une si grande révolution était non seulement un fort honnête homme, mais aussi ce qu’on appelle un homme bien pensant, très attaché à la religion et à tout ce qui est par tradition objet de respect. Mais les pages véritablement précieuses de ce livre sont celles où Planck fait, naïvement et sans y penser, certains aveux qui donnent de singulières clartés sur le mystérieux processus d’élaboration de la science ; ils détruisent complètement le lieu commun, souvent répété par Planck lui-même avec emphase, selon lequel la science serait une chose universelle planant au-dessus des savants de tous les temps et de tous les pays.