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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/241

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chers. Jamais, en luttant contre l’angoisse, on ne produit de la sérénité ; la lutte contre l’angoisse ne produit que de nouvelles formes d’angoisse. Eux avaient la grâce au départ.

Pour répondre à la question du mysticisme en Grèce, il faut s’entendre. Il y a des gens qui ont simplement des états d’extase ; il y en a d’autres qui font de ces états un objet presque exclusif d’étude, les décrivent, les classent, les provoquent dans la mesure du possible. Ce sont les seconds qu’on appelle généralement mystiques ; c’est pourquoi saint François, je crois, n’est pas considéré comme tel. En ce second sens, la mystique s’est introduite dans la civilisation hellénique avec les gnostiques et les néo-platoniciens — peut-être, comme tu supposes, non sans influence des « gymno-sophistes ». Il est possible qu’à haute époque les Grecs se soient abstenus de ce genre d’études volontairement, considérant qu’il y a des choses qu’il ne faut pas formuler, et étendant le secret, pour certaines choses, même au dialogue de l’âme avec elle-même. En ce cas ils auraient eu à mon avis, par parenthèse, tout à fait raison ; j’admire sainte Thérèse, mais si elle n’avait rien écrit elle mériterait à mon sens plus d’admiration. Mais quant au fait d’avoir des états d’extase et de leur attacher un haut prix, il ne peut y avoir aucun doute à cet égard. Les écrits de Platon en témoignent assez. (D’ailleurs, le rôle qu’il attribue à l’amour est suffisamment caractéristique.). Et quand, faisant l’éloge de la μανία[1] issue des dieux, il dit que Dionysos inspire la μανία des mystères, je ne vois pas comment interpréter ce passage sans supposer des états extatiques. Car il ne peut s’agir d’états collec-

  1. Folie.