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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/243

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des mystères. On a là la preuve en tout cas (que personne n’a relevée à ma connaissance) que ce qui forme la partie la plus originale à nos yeux des doctrines pythagoricienne et platonicienne est d’origine très antique. Cette conception du nombre comme formant une sorte de moyenne entre l’unité (qui est le propre de la pensée) et la quantité illimitée [ἄπειρος] qui est donnée dans l’objet est singulièrement lumineuse. Le sens indiqué (un → plusieurs → illimité) exclut complètement ce que nous nommons induction et généralisation. Il est remarquable que cette méthode ait été scrupuleusement observée par la science grecque.

De la même manière, la proportion, dans les choses visibles, permet à la pensée de saisir d’un seul coup une diversité complexe où, sans le secours de la proportion, elle se perdrait. L’âme humaine est exilée dans le temps et l’espace qui la privent de son unité ; tous les procédés de purification reviennent à la délivrer des effets du temps, de manière qu’elle parvienne à se sentir presque chez elle dans le lieu de son exil. Le seul fait de pouvoir saisir d’un coup une multiplicité de points de vue d’un même objet rend l’âme heureuse ; mais il faut que la régularité et la diversité soient combinées de telle sorte que la pensée soit sans cesse sur le point de se perdre dans la diversité et sans cesse sauvée par la régularité. Mais les objets fabriqués à cet effet ne suffisent pas ; la pensée aspire à concevoir le monde même comme analogue à une œuvre d’art, à l’architecture, à la danse, à la musique. À cet effet il faut y trouver la régularité dans la diversité, c’est-à-dire des proportions. On ne peut admirer une œuvre d’art sans s’en croire l’auteur de quelque façon, et, en un sens, le devenir ; de même, en admirant l’univers à la manière d’une œuvre d’art, on en devient d’une