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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/250

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Les stoïciens n’ont, je pense, rien inventé, mais transmis seulement, en enseignant que ce monde est la patrie de l’âme ; elle doit apprendre à reconnaître sa patrie dans le lieu même de son exil. Qui sait si l’histoire d’Ulysse se réveillant à Ithaque sans la reconnaître n’est pas un symbole à cet effet ? L’Odyssée est évidemment farcie de symboles philosophiques (Sirènes, etc.).

Pour le problème du mysticisme en Grèce, il faut s’entendre. Il y a des gens qui ont simplement des états d’extase ; il y en a qui, de plus, étudient ces états d’une manière presque exclusive, les décrivent minutieusement, les classent, les provoquent dans une certaine mesure. Ce sont les seconds qu’on appelle généralement mystiques ; ainsi saint François, je crois, n’est pas regardé comme tel. En ce sens il n’y a pas trace de mystique avant les néo-platoniciens et les gnostiques. Il a très bien pu y avoir, dans la période classique et préclassique, une sorte d’interdiction à cet égard ; on a pu juger peu convenable de formuler en paroles ce qu’il y a de plus précieux. Ils ont pu étendre la notion du secret jusqu’à préserver même à l’égard de soi-même le secret que des choses les plus élevées, et les recouvrir d’un silence complet. La vertu du silence, à laquelle les pythagoriciens attachaient tant de prix, ne devait pas concerner seulement les rapports avec les profanes.

Mais si l’on nomme mystique le fait d’avoir des états d’extase, de leur attacher un haut prix, et sinon de les provoquer, du moins de chercher à se mettre dans une disposition d’esprit où ils sont possibles — alors Platon, tout d’abord, est un mystique. Le rôle qu’il attribue à l’amour est significatif à cet égard ; et il ne manque pas chez lui d’allusion à des états extatiques. De plus quand, faisant