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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/284

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à tous les autres changements par la compensation des ruptures d’équilibre successives, compensation qui fait de tous les déséquilibres une image de l’équilibre, de tous les changements une image de l’immobilité, du temps une image de l’éternité.

L’injustice dans un homme étant la méconnaissance des limites, ces ruptures d’équilibre qui se succèdent et se compensent constituent l’image d’une succession d’injustices et d’expiations elles-mêmes injustes qui se compensent par un balancement indéfini ; ce qu’exprime la formule d’Anaximandre : « c’est à partir de cela que se fait la production des choses, et leur destruction est un retour à cela, conforme à la nécessité ; car les choses subissent un châtiment et une expiation les unes de la part des autres à cause de leurs injustices selon l’ordre du temps ».

Pour apercevoir une image de l’équilibre dans la succession indéfinie des ruptures d’équilibre, il faudrait embrasser la totalité de l’univers et du temps, ce qui n’est pas donné à l’homme dont la pensée en tant qu’elle se rapporte à des objets est limitée.

L’homme serait incapable de penser concrètement l’équilibre et par suite la limite et par suite l’illimité, et par suite d’une manière générale de penser s’il ne lui était donné des images de l’équilibre à son échelle. Cela est non une nécessité, mais une grâce ; une grâce qui se confond avec celle par laquelle l’homme existe.

À son échelle s’entend en deux sens. Non plus grand que ce qu’il peut embrasser, non plus petit que ce qu’il peut discerner. Si, par l’accumulation des faits d’expérience et la perfection croissante des instruments quant à la distance et quant à la petitesse, il sort de ce qui est naturellement son échelle, il peut fort bien tomber dans une complica-