Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/97

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aimerons ; et, quand nous serons las, nous nous aimerons encore.

Je me rappelle ton cri de l’autre jour : « Vraiment une femme est bien oisive. » J’ai songé jusqu’au soir à cet aveu. L’homme a pris tout le travail, et vous a laissé la rêverie dangereuse. La faute est au bout des longues songeries. À quoi penser quand on brode la journée entière ? On bâtit des châteaux où l’on s’endort comme la Belle-au-Bois-dormant, dans l’attente des baisers du premier chevalier qui passera sur la route.

— Mon père, m’as-tu dit souvent, était un brave homme qui m’a laissée grandir chez lui. Je n’ai point appris le mal à l’école de ces délicieuses poupées qui cachent, en pension, les lettres de leurs cousins dans leurs livres de messe. Jamais je n’ai confondu le bon Dieu avec Croquemitaine, et j’avoue que j’ai toujours plus redouté de faire du chagrin à mon père que d’aller cuire dans les marmites du diable. Il faut te dire encore que je salue naturellement, sans avoir étudié l’art des révérences ; mon maître à danser ne m’a pas exercée davantage à baisser les yeux, à sourire, à mentir du visage; je suis d’une ignorance crasse sur le chapitre de ces grimaces de coquettes qui constituent le plus clair d’une édu-