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Tableau de Paris/325

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CHAPITRE CCCXXV.

Pain de Pommes de terre.


Attentif à l’aliment des pauvres, dont le nombre doit effrayer, je ne passerai pas sous silence la méthode d’un ami de l’humanité, qui, tandis que tant d’autres artisans du luxe travaillent pour la table des riches, a songé à celle des indigens.

Graces soient rendues à M. Parmentier ! Qu’importe que sa méthode ne soit pas nouvelle, qu’elle soit usitée ailleurs ? Il nous l’a fait connoître à nous qui en avions besoin. Il a fait des expériences pour la panification des pommes de terre ; & si le succès, comme il s’en flatte, parvenoit à substituer en partie ce végétal d’une culture facile & assurée, au froment que les travaux & les sueurs de l’homme paient si cher, ce physicien auroit fait une découverte infiniment utile, & donné un présent inappréciable à la nombreuse classe des nécessiteux.

C’est à Paris sur-tout que l’on sentiroit de quel prix seroit la ressource d’une racine qui, se développant avec sûreté & bravant les accidens qui ravagent les moissons, deviendroit un remede à la disette accidentelle du bled, & aux horreurs du monopole encore plus funeste.

La subsistance du peuple, pour qui mon cœur s’intéresse spécialement, ne seroit plus livrée à la disposition des élémens & à la spéculation de l’avarice. La pomme de terre, qui ne craint ni les gelées, ni les grêles, ni les orages, ni les vents, ni la pluie, s’offre également dans tous les terreins, pour se convertir en pain nourrissant & savoureux.

Puisse la manipulation en devenir aussi aisée que la culture ! Cette substance farineuse, qui se propage sans peine & sans effort au-dessus de la surface du sol, l’emportera sur le bled, qui se souvent trompe l’attente de l’homme, & échappe ensuite aux mains qui l’ont fait croître, pour servir d’objet de commerce à la cupidité la plus meurtriere.

J’attends donc avec empressement le succès d’une méthode qui, simplifiée & rendue générale, donnera une perfection nouvelle à la panification de ces précieuses racines. Ma reconnoissance particuliere éclatera envers ce nouveau Triptoleme, qui aura mis la subsistance de la multitude à l’abri de l’ardent monopoleur, & j’annoncerai tous les avantages que j’apperçois dans une découverte que l’ignorance & la frivolité ont dédaignée avec cette hauteur dénigrante qui caractérise le siecle où j’écris.

Pour moi, je la regarde comme devant avoir la plus grande influence sur l’homme, sur sa liberté & sur son bonheur. Je suis, sur cet article, de l’avis de M. Linguet, si éloquent quand il a raison ; je pense, comme lui, que le bled qui nourrit l’homme, a été en même tems son bourreau ; je crois que la chymie, la plus utile des sciences, pourroit nous donner un pain moins chérement acheté, moins à la disposition des grands propriétaires, de ces tyrans de la société, lesquels protegent toujours les avides calculateurs, parce qu’ils partagent avec eux.

L’expérience a prouvé qu’il étoit possible de fabriquer un pain d’une autre substance que de fleur de froment : c’est déjà un grand point. Eh ! qui pourroit demeurer indifférent sur une pareille découverte, & ne pas voir les avantages immenses qui en résulteroient pour la félicité publique ?

Depuis la premiere impression de cet article, on a fait du biscuit de pommes de terre : mais on a encore mieux fait ; on a converti la patate en pain & en biscuit. Quel trésor pour les colonies affligées par ces violentes convulsions de la nature, par ces ouragans qui détruisent toute récolte, & exposées d’ailleurs aux ravages de la guerre & aux cruels hasards de l’Océan !

Le biscuit de pommes de terre l’emporte sur le biscuit de froment ; mais le pain de patate a beaucoup d’avantages sur la pomme de terre, en ce que la patate est plus farineuse, moins aqueuse, & qu’elle contient sur-tout un principe sucré & nutritif qui la rend plus propre à être convertie en pain, & à s’assimiler à notre substance.

Je ne sais si je me trompe dans mes vœux ardens ; mais je pense que la chymie pourra tirer un jour de tous les corps un principe nourrissant, & qu’il sera alors aussi facile à l’homme de pourvoir à sa subsistance, que de puiser l’eau dans les lacs & les fontaines.

Et que deviendroient tous ces combats de l’orgueil, de l’ambition, de l’avarice, toutes ces cruelles institutions des grands empires ? Une nourriture aisée, facile, abondante, à la disposition de l’homme, seroit le gage de sa tranquillité & de ses vertus. Nos malheureux systêmes politiques seroient tous renversés. Travaillez, travaillez, bons chymistes !