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Tableau du royaume de Caboul et de ses dépendances dans la Perse, la Tartarie et l’Inde/Tome 2/Esclaves

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ESCLAVES.

Il y a des esclaves dans l’Afghanistan comme dans toutes les contrées mahométanes. La plupart d’entr’eux sont indigènes, mais on en tire des pays étrangers. On fait venir d’Arabie des Abyssins et des nègres. Les Béloches vendent des Persans ou d’autres malheureux dont ils se sont emparés dans leurs courses. Quant aux esclaves caufirs, ils ont été ou vendus par leurs propres compatriotes, ou faits prisonniers par les Eusofzyes. C’est le seul cas où les Afghans font des esclaves, car ils ont cette pratique en horreur, et appellent les Usbecks, audam-farosch, c’est-à-dire vendeurs d’hommes. Les captifs caufirs sont généralement des femmes, et on les recherche à cause de leur beauté.

Les hommes réduits à la servitude, sont la plupart employés comme domestiques ; mais à la campagne, et surtout chez les fermiers douraunées, on les fait travailler à la terre. Cependant on ne leur impose point comme dans nos colonies la tâche de remplacer les bêtes de somme ; ils font le même travail que les hommes libres.

Au reste, on les traite avec douceur ; ils mangent avec les maîtres quand ils appartiennent à de simples agriculteurs, et sont vêtus comme eux. On leur permet d’avoir des propriétés ; les maîtres même des femmes. Ils épousent les filles des autres esclaves ; et le propriétaire de la fille a seul droit à en recevoir le prix, mais il l’abandonne au père ou à la mariée elle-même. Cela n’empêche pas que le maître de la femme mariée ne conserve ses droits sur elle ; car s’il devoit les perdre, il ne consentiroit pas gratuitement à un arrangement qui doit augmenter la valeur de cette même femme, puisque les enfans qui en naissent deviennent ses esclaves.

Nulle part je n’ai vu dans ce pays rien qui ressemblât à la servitude de la glèbe. La plupart des esclaves vivent chez leur maître ; mais lors même que le champ qu’ils cultivent est assez éloigné pour qu’ils soient obligés de s’y construire une tente ou une cabane, ils ne sont pas pour cela attachés au sol ; ils se transportent incessamment d’une culture à une autre. On ne leur accorde aucune part sur le produit de leur travail ; ils sont surveillés par le propriétaire même, ou par quelque homme libre, intéressé à l’exploitation. Rarement on les bat. Les esclaves adultes se considèrent comme faisant partie de la famille de leur maître ; ils reconnoissent qu’ils doivent travailler pour leur bien-être à eux-mêmes. Quant aux filles esclaves, elles sont les concubines du mari, et les servantes de la femme.

Chez les Usbecks, le maître convient souvent d’affranchir son esclave moyennant une certaine somme, ou après un certain nombre d’années d’un bon et loyal service. Les contrats se font avec l’intervention des magistrats.

Les Afghans et les Persans, au contraire, regarderoient comme honteux d’accepter de l’argent pour la rançon d’un esclave ; mais souvent ils leur donnent la liberté pour récompense de leurs services, ou les affranchissent par une sorte de disposition testamentaire. Un des principaux khans du pays, sentant sa fin approcher, fit venir ses esclaves, et remit à tous ceux qui avoient de la répugnance pour servir son fils, un acte d’affranchissement en bonne forme.

Le père Krusinski, dont on ne sauroit alléguer la partialité en faveur des Afghans, leur a rendu justice sur ce point. Il dit dans son Histoire de la dernière Révolution de Perse :

« Le traitement qu’ils font à ceux qui deviennent leurs captifs par le droit de la guerre, n’a rien de la barbarie de la plupart des autres nations de l’orient. Ils regardent comme une inhumanité atroce, et dont ils ont horreur, l’usage de ceux qui les vendent pour esclaves.

» Il est bien vrai qu’ils se font servir par eux ; mais outre que, dans le temps même de leur servitude, ils les traitent avec bonté, et en ont du soin ; ils ne manquent jamais, pour peu qu’ils en soient contens, de leur rendre la liberté au bout d’un certain temps : autant différens des autres peuples de l’Asie à cet égard, qu’ils le sont du côté des bonnes mœurs. »